top of page

Le vieillissement

Vieillesse et tristesse

27 avril 2020

​

Je ne sais pas ce qui m’a pris, mais en pensant au désespérant confinement qui nous attend, j’ai eu un coup de découragement … On dirait que les 70 ans qui ne sont pas emprisonnés dans les résidences ne sont pas prévus dans le déconfinement … Il aurait peut-être mieux valu ne pas prévoir vivre si vieux!

​

On dirait bien qu’il a fallu une pandémie qui les rende tous malades pour qu’on s’intéresse aux vieux des résidences. Comme si la vieillesse n’existait pas et qu’ils allaient vivre toute l’éternité, les 70 ans et plus n’étaient ni vus ni connus. Les vieux sont vieux alors, il semblait naturel qu’ils allaient mourir de leur mort naturelle, mais aujourd’hui il y a le Corona Virus qui les tuent avant qu’ils ne meurent! Aujourd’hui, on tient des statistiques des morts et ils y sont comptés en grand nombre. Maintenant, on ne peut plus faire comme si la vieillesse n’existait pas. Depuis que la mort les guette, ils ont pris de la valeur et il semble normal de s’occuper d’eux avec respect!  Mais, malheureusement, on constate que la vieillesse ne se guérit pas facilement!

​

Quand on visite les résidences pour aînés, on a l’impression qu’ils sont en sécurité et protégés de tous les côtés et que pour eux, il n’y a pas mieux. Ils donnent l’impression d’être sans présence humaine depuis toujours et que, s’ils sont rassemblés, c’est justement parce qu’ils sont seuls au monde. Certains sont si silencieux qu’on écrit leur nom sur leurs vêtements pour ne pas les oublier. Pour ces silencieux qui n’ont rien à dire à personne, personne n’a plus d’importance. On a l’impression que ces silencieux sont dans leur fauteuil depuis qu’ils sont nés et qu’ils y sont à titre définitif.

​

Mais tous ces silencieux ont un certificat de naissance avec leur nom dessus, ce qui prouve qu’ils sont nés et qu’ils ont eu une vie. Mais, pour la majorité, ils n’ont plus d’amoureux ou d’amoureuses qui connaissent leur nom et leur disent qu’ils les aiment.

Les vieux ont pas mal de vécu, ils voudraient faire encore mais ils ne peuvent plus. D’ailleurs, ils sont de moins en moins fréquentés et ne sont plus requis nulle part. Comme ils ne sont plus utiles et qu’on n’attend plus rien d’eux, ils n’attendent plus rien de personne et dès lors, ils sont en proie à la sénilité et déjà à cinquante pourcent morts.

​

Parce qu’ils n’ont plus à se défendre de quoi que ce soit, ils ont gagné le calme intérieur et ils savent mieux écouter, mieux deviner et mieux comprendre les autres. Comme leurs besoins physiques ne sont plus prioritaires et ne dirigent plus leurs sentiments, ils ne sont jamais ni totalement heureux ni totalement malheureux. Cependant, ils ont un système de plus en plus nerveux et ils vivent beaucoup d’anxiété et de peur en pensant à la façon dont ils vont mourir. Et l’anxiété et la peur c’est contagieux! Et dans leurs yeux on voit de la tristesse. 

​

Les vieux ne cherchent pas la tristesse mais ils ont des raisons d’avoir peur et la peur, comme les virus, s’accroche à eux. Ils ont de moins en moins de personnes à aimer autour d’eux, alors ils pensent fort à ceux qu’ils ont mis au monde. Se soucier de quelqu’un, ça donne une raison de vivre. Parce qu’ils se sont mis à aimer leurs enfants, comme ce n’est pas possible parfois, ils pleurent parce qu’ils se font des soucis en pensant à eux. Est-ce que les vieux peuvent bien vivre sans l’amour de ceux qui leur sont les plus chers au monde? Ils se languissent, ils se font de vrais malheurs et ils ont de vrais chagrins. On les traîne alors chez le docteur qui leur prescrit des tranquillisants pour soigner leur peine.

​

À force de n’être occupé à rien, certains n’ont plus d’idées et deviennent malades dans leur tête. Ils ne se souviennent pas des dates et même plus de leur nom et des noms de leurs enfants. Quand ils n’ont plus de mémoire, ils vivent dans la solitude. Ces vieux-là sont, pour la majorité du temps, consternés. Leur cerveau s’asphyxie et ne fait que vieillir. Ils ne sont plus parmi le monde et à force de solitude, ils ne savent plus comment vivre dans le monde. Je pense que pour bien vivre, ce qui est important, c’est d’être jeune dans sa tête et dans son cœur.

​

La tête et le cœur, c’est le plus important et c’est ce qui est le plus difficile à soigner. Quand la tête et le cœur ne sont plus nos alliés, même le souvenir du bonheur passé ne sert à rien. Leur vie passée et leur jeunesse, ce sont les bonheurs qui restent de plus vivant dans la tête des vieux.  Aussi, faut-il saisir le bonheur avant d’être vieux dans sa tête et dans son cœur!

​

Ces humains-là qui ne peuvent plus vivre dans le monde, plutôt que d’avoir l’air sénile, préfèrent dormir. Et ils dorment de plus en plus. Malheureusement, dans leur sommeil, ils ne savent même plus faire de beaux rêves d’avenir. Ils rêvent du passé et leurs rêves deviennent des cauchemars. Et de peur qu’ils se souviennent soudainement d’un beau rêve et qu’ils ne partent retrouver leur monde durant la nuit, on les enferme à double tour pour dormir. Qu’ont-ils de mieux à faire? Une vie dans l’absence, est-ce vraiment une vie pour un humain?

​

Les hommes et les femmes qui meurent dans les résidences ont été des amoureux et des amoureuses, des papas qui ont appris à leurs enfants à aller à bicyclette et des mamans qui ont chanté en berçant leurs bébés. Ces hommes et ces femmes qui meurent ont transmis la vie et c’est leurs gènes qui  continuent d’exister dans la vie de leurs enfants.

​

Avec ces vieux qui sont à la limite de la dignité humaine et qui ne tiennent qu’à un fil, il n’est pas permis de mettre fin à leur vie. On est plus humain avec les chiens qu’avec les gens. Pour mettre fin à la vie, les chiens ont généralement droit à une mort douce. Mais même quand vous devenez une statue léthargique que rien ne peut toucher et, même quand vous n’êtes plus une véritable personne humaine, pour mettre fin à la  souffrance humaine, il y a les lois.

​

Moi, ne veux pas vivre plus qu’il n’est nécessaire. Je ne veux pas me retrouver dans un CHSLD à attendre la fin de vie.

En écrivant ce texte, je me suis souvenue d’une phrase qu’une dame m’a dite après un un spectacle de La Troupe la Romance, dans une résidence. Je lui soulignais qu’elle avait chanté avec nous tout au long du spectacle et je lui ai dit : « Je vous aime, vous! » Elle m’a répondu : « Je n’ai plus personne qui m’aime. ». En y repensant, j’en ai pleuré. Depuis, j’ai une peur bleue de n’être plus rien ni personne et de me retrouver dans ces nids de vieux!  

​

J’ai toujours cru qu’on pouvait faire passer les mauvais moments avec les mots, mais aujourd’hui écrire ne me suffit pas. En attendant de retrouver le moral, je mange un bon cornet de crème glacée au chocolat.  Je dirais que dans ces moments où les mots ne suffisent pas, ces bonnes choses sont encore meilleures que d’habitude.

bottom of page